3 questions à… Jean-Louis Thiériot sur la réforme de l’État

1. Comment et pourquoi la crise a-t-elle agit comme un révélateur de l’urgence à réformer notre État ?

La crise de la Covid révèle ce que nous disons depuis des années, que la France est paralysée par un Etat obèse et impotent, c’est-à-dire un état qui pèche doublement, par son inefficacité et par son coût.

L’inefficacité est patente : sans être cruel, il suffit de se rappeler le fiasco des masques, le fiasco des tests qui a empêché de mettre en œuvre le « dépister, tracer, isoler », le fiasco de la politique vaccinale qui nous laisse confinés quand la Grande Bretagne ou Israël reprennent une vie quasi normale et le fiasco, enfin, de la remontée en puissance des lits de réanimation. Ces échecs résultent de la perte de l’esprit de mission de notre exercice politique et de la dilution des responsabilités. Sans être exhaustif, les décisions de santé relèvent du ministre, de la haute autorité de santé, de Santé Publique France, de l’ANSM et au niveau régional des ARS sur lesquels les préfets de département ou de région n’ont pas directement autorité. Si l’on y ajoute le juridisme, le principe de précaution poussé à l’extrême, la suradministration (24% d’administratif dans les hôpitaux allemands / 34% en France), l’absence de culture de crise, c’est une véritable polysynodie qui paralyse l’Etat, l’empêche d’agir vite et fort et multiplie les injonctions contradictoires. Il faut revenir à une maxime simple « un chef, une mission, des moyens » en ayant en tête l’effet majeur souhaité et en mettant de côté les détails. De ce point de vue, les protocoles sanitaires de plusieurs dizaines de pages ont été des chefs d’œuvre de complexité bureaucratique. Je suis d’accord avec Bruno Retailleau quand il souligne que l’administration n’est pas le problème : le vrai responsable c’est le politique qui a sous-traité et dilué son pouvoir !

Outre son inefficacité, cette multiplication des échelons décisionnels est extrêmement coûteuse. Avant le Covid, la part des dépenses publiques (fiscales et sociales) dépasse 58% du PIB contre une moyenne européenne à 48%, l’Allemagne ou la Grande Bretagne étant à 44%. En soi, ce ne serait pas très grave si nous étions plus efficaces. Hélas, les faits prouvent le contraire. Depuis 1980, la population a augmenté de 22%, le nombre de fonctionnaires de 44%. Et il y a moins de services de proximité. L’importance démesurée de la dépense publique accroît la charge fiscale et donc réduit la compétitivité de nos entreprises et la croissance du pays qui depuis les années Jospin est constamment plus faible que celle de l’Allemagne, alors qu’elle était équivalente durant les décennies précédentes. Le chômage, la désindustrialisation, la perte de souveraineté économique sont les enfants dramatiques du surpoids de l’Etat. Pour rétablir notre compétitivité, il faut fixer une trajectoire : rejoindre la moyenne européenne à 48% en 5 ans ou 10 ans avant de fixer le principe d’une règle d’or, sauf situation de crise exceptionnelle. La croissance et la stabilisation de la dépense devraient permettre d’y parvenir tout en restaurant un Etat mince et agile.

 

2. De nombreux discours et propositions sont faites en matière de réforme de l’Etat. Pourtant la dépense publique française est toujours plus importante pour une efficacité qui laisse à désirer : l’Etat en France est-il réformable ?

Il n’y a aucune fatalité. Dans les années 70, on parlait de la Grande Bretagne, paralysée par l’étatisme comme l’homme malade de l’Europe. Dans les années 90, l’Allemagne s’interrogeait sur l’avenir du Standortsdeustchland. Le déclinisme de ces deux pays a été vaincu par les réformes énergiques de Margaret Thatcher et de Gerhard Schröder. Et le Royaume-Uni était encore plus bloqué par des syndicats marxistes que la France aujourd’hui. Le drame est que la plupart des pays européens ont mis un terme au glissement de leurs dépenses, dans les dernières décennies. La France a laissé filer ses déficits depuis 1974, dernière année un notre budget a été en équilibre. A nous de le faire aujourd’hui.

Pour y parvenir, il faudra une vision, une méthode, une espérance.

  • La vision, c’est une réforme cohérente pilotée par un chef d’orchestre qui propose un plan global sur le modèle du rapport Pinay-Rueff qui, sans aucun tabou, réexamine toutes les missions de l’Etat en en mesurant l’utilité et la nécessité. Il faudra au préalable mener une analyse mission par mission à partir du terrain, en évaluant chaque politique, chaque norme, chaque agence, chaque administration.
  • La mise en œuvre devra être rapide, probablement par ordonnances. Le temps politique est court. L’état de grâce qui cumule nouveauté et légitimité démocratique impose d’agir vite en se limitant à quelques réformes vitales. La distinction faite par le général de Gaulle entre service extraordinaire et service ordinaire est toujours opérative. Le service ordinaire peut être mené dans la durée. Le service extraordinaire dans les six mois ou dans l’année qui suit notre retour aux affaires, en évitant les réformettes.
  • L’espérance, c’est mettre en œuvre la réforme au nom de ce qui dépasse la stricte orthodoxie budgétaire qui n’est qu’un moyen, et pas une fin pour retrouver la grandeur française et la maîtrise de notre destin dans la mondialisation. Il s’agit de poser les bases du retour de la production française, de la souveraineté française, de la puissance française qui ne peuvent être redressées qu’à condition de redresser l’attractivité nationale. Concrètement, il ne s’agit surtout pas de promettre seulement du sang, de la sueur et des larmes et de jouer les Cassandre, mais de mener le redressement productif en améliorant rapidement le pouvoir d’achat du travail quitte à retarder de quelques années le retour à l’équilibre. Bref, une France puissante où il fait bon vivre.

Réformer le pays est un ardent impératif. Le fatalisme n’est pas une option. Nous pensons comme Julien Gracq que « lorsqu’on gouverne, rien n’est pire que le lâcher prise. »

 

3. Quelles seraient les 2 ou 3 priorités pour engager une réforme efficace ?

  • En termes constitutionnel, instauration d’une règle d’or à terme et interdiction de sur-transposer les normes européennes au-delà de la moyenne des transpositions pour rétablir une concurrence loyale.
  • En termes d’organisation de l’Etat, suppression de la plupart des agences indépendantes pour rendre à l’Etat, politiquement responsable, la plénitude de son autorité et restaurer le pouvoir des préfets départementaux avec autorité sur tous les services exerçant dans le département.
  • En termes budgétaire, avoir le courage politique de porter l’âge de la retraite à la moyenne européenne. Une année de cotisation en plus représente au moins 20 milliards par an. Cette réforme est la mère de toutes les réformes car c’est celle qui permet le plus de gains financiers et qui est parfaitement légitime avec l’allongement de l’espérance de vie. Elle redonnerait des marges de manœuvre.

Aujourd’hui le politique administre le peuple et gouverne les choses. Il est temps de faire l’inverse : gouverner le peuple avec autorité et administrer sagement les choses, en ayant à l’esprit, toujours, la boutade de Pompidou « Arrêtez d’emm… les Français » !

 

Jean-Louis THIÉRIOT
Député LR de la Seine-et-Marne
Avocat et essayiste, auteur de De Gaulle, le dernier réformateur (2018)