L’écologie est devenue en France le prête-nom de tous les délires gauchistes.
20 octobre 2021
Dans le cadre de la sortie de son livre Aurons-nous encore de la lumière en hiver ? Pour une écologie du réel, aux éditions de l’Observatoire, Bruno Retailleau répondait aux questions de Marion Mourgue dans le Figaro du 19 octobre 2021.
LE FIGARO.- Vous ne vous êtes plus exprimé depuis votre retrait de la campagne présidentielle. Quel regard portez-vous sur la droite aujourd’hui ? Êtes-vous inquiet ou rasséréné ?
Bruno RETAILLEAU. Je n’ai jamais caché que pour moi, le calendrier était trop long et que je souhaitais un système de départage qui soit une vraie primaire ouverte pour donner une large légitimité et plus d’élan à notre candidat. Je n’ai pas changé de conviction mais je suis loyal à ma famille politique. Les militants ont choisi un congrès et à l’issue, nous aurons un seul candidat. C’était la première condition pour envisager la victoire. Mais il y a une autre condition, essentielle pour convaincre les Français : il faut une vision. Les Français aujourd’hui sont en mode survie, parce qu’ils se sentent doublement dépossédés, de leur niveau de vie et de leur mode de vie. Ils voient leur pouvoir d’achat s’éroder à mesure que les factures augmentent et leur identité s’effacer sous les coups de boutoir de l’islamisme et du gauchisme culturel. La grande question de la présidentielle, c’est donc la question de la dépossession, matérielle et culturelle. Il faut rendre aux Français ce qu’il leur a été enlevé : un État digne de ce nom, qui protège plus et prélève moins, et la nation, c’est-à-dire une souveraineté et une identité nationale. L’État et la nation, c’est ce qui nous a fondés, ce sont les deux piliers de la civilisation française. Cette politique de civilisation passe, non pas par des mesurettes, mais par des décisions puissantes sur le travail, la justice, l’immigration et l’école.
Savez-vous pour qui vous voterez au congrès ?
Non, j’avoue que je ne le sais pas encore pour le moment. Nous avons commencé à recevoir les candidats, chaque mardi, dans le cadre du groupe LR au Sénat, pour leur permettre d’exposer leur projet et leur vision. Je les écoute attentivement, ensuite je me déciderai. Je n’ai pas souhaité me ranger dans une écurie; j’ai pris la décision de ne pas être candidat moi-même, ce n’est pas pour l’être par procuration.
Vous insistez sur la peur du déclassement. Est-ce qu’aujourd’hui ce sont les Républicains qui en parlent le mieux ou Eric Zemmour ?
Je partage beaucoup des constats d’Eric Zemmour, mais je ne me retrouve pas dans ses excès de langage. Eric Zemmour, c’est un esprit brillant et percutant mais c’est aussi un esprit de système. Avec lui, tout doit rentrer dans des cases. Or gouverner un pays, ce n’est pas gouverner un système c’est gouverner des gens, des êtres, avec leur complexité et leur humanité. Cela suppose une expérience qui ne s’acquiert pas sur les plateaux de télévision ni même dans les livres, mais dans un engagement quotidien sur le terrain, sur le long terme, au contact des Français. C’est cette expérience qui nous prémunit contre les facilités ou les dangers d’une pensée mécanique, qui peut blesser. On l’a vu avec les propos d’Eric Zemmour relatifs aux jeunes victimes de Mohamed Merah. Et puis, il faut aussi porter une espérance. Je comprends qu’Eric Zemmour veuille « refaire des Français » et il a raison. J’ai été l’un des premiers à droite à dénoncer la dérive totalitaire d’un certain Islam, qui progresse dans notre pays. Mais établir une stricte équivalence entre Islam et islamisme nous condamne au fatalisme. Si tous les musulmans français sont des islamistes en devenir, alors il n’y a plus rien à faire, plus rien à tenter ! Je ne me résoudrai jamais à cela : nous pouvons refaire des Français si nous faisons aimer la France à cette jeunesse travaillée par l’islamisme.
Mais quand vous voyez qu’il est en nette progression dans les sondages et que 25% des électeurs de François Fillon pourraient voter pour lui, est-ce que vous vous dites qu’Eric Zemmour pourrait être le candidat de la droite ?
Son discours parle aux électeurs de droite mais je ne crois pas un seul instant qu’on puisse s’improviser chef de l’État. Cela se construit, et on a vu avec Emmanuel Macron les limites des météorites médiatiques. Par ailleurs, Eric Zemmour ne fait que prendre la place que la droite lui a laissée. C’est à nous, les Républicains et notre famille politique, d’assumer ce discours, sans excès mais sans concession. Aujourd’hui, dans toutes les démocraties occidentales, les peuples sont taraudés par les questions existentielles. Quel peuple voulons-nous être demain ? Dans quelle France voulons-nous vivre demain ? Si on veut réformer la France, il faut d’abord redonner forme à la nation française. Les efforts collectifs qui sont aujourd’hui nécessaires seront impossibles sans la force du sentiment d’appartenance commune qui s’est étiolé dans notre pays.
Vous revenez aujourd’hui dans le débat en publiant un livre sur « l’écologie du réel », (Aurons nous encore de la lumière en hiver, éd. de L’Observatoire). Pourquoi ce thème ?
Je pense que la droite s’est laissé déposséder de ce thème, pourtant il renvoie aux exigences de la droite sur la transmission, la permanence et donc la question des limites. L’écologie a été historiquement portée par notre famille politique, du premier ministère de l’Écologie sous Georges Pompidou au Grenelle de l’Environnement sous Nicolas Sarkozy, de la création de l’ONF à la première loi de protection de la nature. On ne peut plus laisser les questions environnementales aux adeptes d’une écologie dogmatique. L’écologie est devenue en France le prête-nom de tous les délires gauchistes. Quand les dingues de l’écologisme veulent interdire le sapin de Noël, le Tour de France, dégenrer les cours d’école ou quand Mme Rousseau rêve hommes déconstruits, ils ne font pas de l’écologie, mais de l’idéologie. C’est une nouvelle religion. L’écologisme est aussi devenu une idéologie de classe. Pour les 20% de Français les plus modestes, les dépenses d’énergie représentent 15% de leurs revenus. Pour les 20% de Français les plus riches, c’est 6%. On n’a pas le droit de faire payer aux plus pauvres la transition énergétique. On ne convaincra pas les Français avec ce gauchisme culturel et en leur donnant, comme perspective, l’appauvrissement et la décroissance. Il n’y a pas de décroissance heureuse.
Face aux « bobards, illusions naïves » des écologistes, dites-vous, vous voulez porter un discours optimiste et non culpabilisant. Le défi écologique peut être une opportunité pour l’homme selon vous ?
Il faut sortir de ce discours apocalyptique et catastrophique. C’est la meilleure façon, sinon, de culpabiliser les Français. Or quand on se sent coupable, on n’a pas la force de rebondir. Je veux au contraire promouvoir une écologie du réel, une écologie qui apporte des solutions, une écologie humaine qui tient compte des données et du savoir des scientifiques, des chercheurs mais aussi des réalités du terrain. En Vendée, nous n’avons pas attendu le discours écologiste pour économiser l’eau potable, mieux trier les déchets, favoriser l’économie circulaire, créer une première unité d’hydrogène vert. La France peut devenir une puissance verte. Sortir des énergies fossiles, c’est reconquérir notre souveraineté mais avec un bénéfice économique, sanitaire et environnemental.
Pour vous l’écologie est l’expression d’un projet de société. Mais lequel ?
Oui c’est un projet de société car l’écologie touche tous les domaines. Il faut donc avoir une vision globale de l’écologie, mais dont le fil rouge doit être l’humain. Ce que je reproche aux écologistes, c’est de faire de l’homme une espèce parmi d’autres. Or écologiser c’est d’abord protéger le vivant et la vie, c’est la charge qu’il nous revient d’assumer. Car c’est à la seule espèce humaine que la nature a donné la faculté d’être la gardienne vigilante de l’ensemble des autres espèces animales et végétales, et c’est pourquoi la montée de l’animalisme porte les germes d’un antihumanisme. Donner l’impression qu’on pourrait sauver la planète sans sauver les hommes est une idée dangereuse.
Mais vous insistez néanmoins sur l’urgence. «Le compte à rebours écologique est lancé » , écrivez-vous. Quels sont les principaux défis à mettre en œuvre pour y parvenir ?
J’essaie de sortir d’un double discours, celui des écologistes comme celui des climato-sceptiques. Les défis sont nombreux. Mais on ne peut pas partir dans tous les sens. On ne réussira la transition écologique non pas à partir de slogans ou de mesures punitives mais en concentrant nos efforts sur un objectif : la décarbonation de notre économie pour lutter contre le réchauffement climatique. Pour y arriver, il faut des mesures puissantes. Quatre sont essentielles à mes yeux. D’abord, je veux faire basculer les aides publiques actuelles sur les renouvelables électriques comme l’éolien, dont le prix s’est abaissé, vers le renouvelable thermique. C’est pourquoi je propose, sur dix ans, un grand plan national d’installation de pompes à chaleur pour les ménages français. Aujourd’hui, il y a 7 millions de logements qui sont de véritables passoires thermiques.
Deuxième proposition : je souhaite qu’on relance un programme ambitieux de recherche et de renouveau de notre parc nucléaire. Abandonner le nucléaire est une erreur grave, une décision idéologique. On l’a vu en Allemagne. Aujourd’hui, il faut prolonger la durée de vie des centrales dès lors que la sécurité n’est pas en cause. Il faut aussi un vote du Parlement avant toute fermeture d’une centrale, ainsi qu’un programme de constructions de réacteurs en misant sur la quatrième génération, car cette génération transformera nos déchets en nouveaux combustibles.
Troisième proposition : la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Ce ne sont pas aux Français de payer mais aux Chinois et aux Américains. Sinon notre compétitivité se dégradera. Il faut taxer les produits des pays qui ne jouent pas le jeu car ils n’ont pas les mêmes exigences environnementales que nous.
Enfin la quatrième proposition, c’est une nouvelle politique d’aménagement du territoire. La France a fait le choix de l’hypermétropolisation, d’un modèle économique de découplage entre le lieu de la production et celui de la consommation. Cela crée des pollutions, des nouvelles solitudes, des fractures et une fatigue démocratique. C’est un modèle antiécologique : il faut mettre fin à cette concentration en répartissant mieux les activités pour réinsuffler de la vie dans certains territoires isolés. L’écologie, c’est la science du lieu. On doit penser la place de l’homme pas seulement dans la nature, mais dans son milieu. En France, on a cédé au gigantisme, avec des régions et des intercommunalités toujours plus grandes. Cela pose des problèmes écologiques et économiques, mais aussi civiques : en augmentant la distance entre les citoyens et les lieux de décisions, on a réduit la confiance. C’est aussi ce que nous ont dit les Gilets jaunes.
La question des déchets est avancée par les écologistes pour dénoncer l’utilisation du nucléaire. Vous n’y croyez pas ?
C’est un faux débat. Aujourd’hui les déchets nucléaires dangereux, c’est à peu près 200 tonnes. Cela tient dans une salle de sport. C’est un risque, mais que nous savons gérer. Grâce aux scientifiques à qui nous devons faire confiance, on maîtrise de plus en plus parfaitement les conditions de conservation des déchets. Des déchets que, du reste, le programme Astrid visait à réduire et qu’Emmanuel Macron a interrompu ! J’accuse le président de la République d’avoir une politique de gribouille. On ne peut pas d’un côté fermer Fessenheim et de l’autre faire l’éloge de la filière en promettant des mini réacteurs, tout en interrompant des programmes de recherche essentiels. Cela n’a pas de sens. En matière écologique, Emmanuel Macron c’est Tartuffe, avec 4 ministres de l’écologie en 4 ans alors que nous avons besoin d’une stratégie de long terme. Les revirements permanents d’Emmanuel Macron ont découragé les meilleurs représentants d’une filière technologique qui était un fleuron national, et nous sommes à cause de cela en train de perdre un savoir-faire que le monde entier nous enviait ! Sur cette question, comme sur tant d’autres, le président semble faire, mais il fait semblant. Le bilan écologique d’Emmanuel Macron, c’est la grande illusion.
Pour vous l’éolien ne permet pas de réduire les importations de pétrole. Faut-il le rejeter en bloc ?
Je ne suis pas de ceux qui disent qu’on doit tout faire avec le nucléaire. On a le vent, le soleil, la biomasse, l’hydroélectricité. Utilisons-les. Mais l’éolien qui aura du sens désormais, ce sera l’éolien flottant en mer. Il est moins coûteux, moins impactant pour nos paysages et plus performant puisque le vent du large est plus présent et plus régulier. C’est pourquoi je prône aussi un moratoire sur l’installation de nouvelles éoliennes terrestres.
«Aurons-nous encore de la lumière en hiver? Pour une écologie du réel», éditions de L’Observatoire.